J’ai choisi de faire un texte sur la photo des cobayes du docteur Mengele. C’est la photo qui m’a le plus marquée, et de loin. Je m’y suis attardée plusieurs minutes, et c’est celle que j’ai trouvée la plus horrible des nombreuses photos que l’on a pu voir dans le musée. Elle devait être utilisée pour les rapports du docteur, qui devait faire des expériences sur la stérilité.
Je suis une photo. Je ne me souviens plus de ma naissance, 1942, 1943 peut-être. Je ne me souviens plus mais cela n’a pas d’importance. Je suis une photo, mais je suis aussi une preuve. La preuve irréfutable que tous les visages, tous les corps meurtris qui me constituent sont le résultat de la barbarie nazie.
Je n’étais pas seule avant. Il y en avait des centaines. Corps squelettiques et déformés, visages horrifiés, mon père les a souvent photographiés. Je crois qu’il en était fier. Pourtant, c’est aussi lui qui les a déchirées, comme il a déchiré la vie de tous ces enfants aux corps détruits. Il a décidé de les brûler, comme il a décidé de brûler leurs familles tout entières en une ou deux secondes. Mon père s’appelait Mengele. Je crois qu’il était docteur. Moi, je l’aurais qualifié de sauvage.
Aujourd’hui, je suis derrière la vitrine d’un musée de Paris. Nous sommes beaucoup là-bas. Des dizaines, des centaines d’objets, de photos comme moi. Nous sommes tous différents, nous ne nous étions jamais croisés, et pourtant notre histoire est la même, et notre devoir est aussi le même, car je sais depuis mon arrivée ici que je suis désormais un témoin.
Chaque jour, je vois défiler des dizaines de visages. Ridés, fatigués, heureux, ovale ou carré, leur réaction est souvent la même, et cela me rassure de les voir choqués, apeurés, émus lorsqu’ils croisent mon regard de papier glacé.
Je suis une photo, je suis une preuve et je crois que je serais à tout jamais importante.
Marion VISTOLI
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