Val de Durance
Lycée
Pertuis
 

LES LETTRES

jeudi 4 juin 2009

L’objet que j’ai choisi est une lettre personnelle d’un homme juif écrite à sa femme. Cette lettre est aujourd’hui exposée dans une vitrine du Mémorial de la Shoah à Paris. Cette lettre a servi, en 1942, de contact entre un couple juif séparé non pas parce qu’ils avaient commis un crime, mais parce qu’ils étaient Juifs. Aujourd’hui, cette lettre est un des nombreux objets qui nous permettent de nous souvenir de cette horrible période qu’est le génocide des Juifs et donc de ne pas oublier ces millions de personnes tuées. J’ai choisi cet objet parce qu’il m’a touchée dès que je l’ai vu et parce qu’il est très intéressant et contient beaucoup d’informations.

Je suis une lettre manuscrite. Ma fonction est de permettre une correspondance écrite entre deux personnes : un expéditeur m’envoie et le destinataire me reçoit.
Je suis une lettre écrite pas Zolma Becher, un homme juif d’origine polonaise venu se réfugier en France après les nombreux pogroms antisémites en Pologne. Cet homme a une femme et trois jeunes enfants.
J’ai été écrite le 23 juillet 1942 au Groupement de Travailleurs Étrangers à L’Isle sur Sorgue dans le Vaucluse. M. Becher a volé une feuille de papier dans la chambre d’un surveillant du GTE et a emprunté une plume et de l’encre à un des ses amis pour me créer. Il a attendu quelques jours avant de m’écrire et a ensuite écrit tout en haut de ma feuille « Ma femme chérie ». J’ai alors compris que j’allais servir de contact entre lui et sa famille qui était restée vivre dans un petit village du nom de Villelaure.
Zolma a continué à écrire, il écrivait sur moi lentement et en faisant quelques ratures. J’ai aussi senti sur mon papier quelques fautes d’orthographe. Il écrivait « Toi et les enfants me manquez terriblement », « Vous ne savez pas à quel point c’est dur sans vous ici », « Le travail ici n’est rien comparé à ce que je ressens quand je ne vous ai pas tous les quatre près de moi ». Il poursuivait avec « J’espère que les enfants se portent bien et qu’ils sont obéissants », « prends soin de toi et des enfants », « Je vous embrasse et à très bientôt ».
Zolma m’a tout de suite mise dans une enveloppe très confortable et m’a confiée à un homme qui m’a lui même déposée dans une caisse en plastique. J’ai attendu quelques jours ici puis, je ne me rappelle plus comment, je me suis retrouvée dans les mains de Laja Becher, la femme de Zolma. Elle a déchiré mon enveloppe avec acharnement, et dès la première phrase qu’elle a lue, ses larmes se sont mises à couler sur moi, et elles ont effacé quelques mots. Elle m’a lue à haute voix devant son fils et ses deux filles. J’ai entendu les enfants demander à leur mère quand ils pourraient revoir leur père mais Laja n’a pas su quoi répondre. Je me suis ensuite retrouvée dans le tiroir d’une vieille commode jusqu’au jour où Laja, ne voyant aucun de mes remplaçants arriver, a eu envie de me relire. Après cela, elle m’a laissée seule quelques instants avec les enfants pour aller rendre visite à sa voisine. En revenant, elle m’a remise à ma place et elle a couché les enfants, très stressée, je pense qu’elle devait avoir des pressentiments sur la journée du lendemain.
En effet, le lendemain, c’est-à-dire le 24 août 1942, la gendarmerie de Pertuis est venue l’arrêter, elle et ses enfants, vers six heures du matin. Toute la famille et les autres personnes juives du village sont parties, destination inconnue. Je ne sais pas si elle a retrouvé son mari après m’avoir laissée toute seule à Villelaure, mais tout ce que je sais aujourd’hui, c’est qu’ils sont allés à Auschwitz et qu’on ne les a plus jamais revus.
Je suis restée dans la maison de Villelaure jusqu’en 1946, année où l’on m’a placée dans un carton des archives du Pays d’Aigues. En 2005, on m’a confié au Mémorial de la Shoah à Paris et j’aime bien être ici, je m’y sens bien puisque beaucoup de gens sont intrigués par moi et je me dis que j’ai retrouvé une utilité.
Soraya BOULHAL

J’ai choisi une lettre d’un Juif envoyé à sa fiancée. Il a écrit cette lettre pendant qu’il était interné dans un camp de concentration. Il y a beaucoup de fautes d’orthographe dans cette lettre ; il dit qu’il aurait aimé lui écrire plus tôt mais qu’il n’a pas pu et qu’il aimerait la revoir. C’est une lettre écrite à l’encre bleue sur une demi-feuille.

Au départ je suis une feuille vierge transportée par un individu banni de sa société. Après avoir été emportée un peu partout avec cette personne, il s’arrête un moment me sort. Je suis fixée par cette personne, comme s’il cherchait en moi la satisfaction ou le refuge. Puis je commence à sentir la plume et l’encre se frotter à moi. Il m’écrit dessus. Il écrit son désespoir, son ardeur, sa rancoeur, son regret et sa peine. Il exprime ses sentiments tout en protégeant son lecteur pour ne pas trop l’inquiéter. Je ressens l’inquiétude qu’il s’interdit d’écrire, mais sa façon de former ses lettres et ses mots le révèlent. Il commence par « ma chérie » puis décrit son état, qu’il va bien. Ensuite, il explique son regret, puis son manque d’elle.
J’ai froid. Alors que tout à l’heure j’étais bien au chaud gardé dans ses habits, me voilà dehors confrontée à une température inconnue, insupportable. Sa plume me crispe, me torture. Il finit par avouer qu’il a peur. Et me signe. Cette personne se remet à me fixer ; il ne sait plus quoi penser. Maintenant j’ai peur. Que vais-je devenir ? Va-t-il prendre soin de moi, vais-je encore avoir aussi froid ? Me voilà pliée précieusement, en quatre.
Me revoilà dans les mains d’un autre inconnu, qui prend tout de suite moins soin de moi. Celui-ci me glisse dans sa veste. Et le soir, alors qu’il fait nuit, il s’empresse dans la rue vide pour me transmettre à un autre homme ; celui-là est inquiétant. Suis-je en sécurité ? Alors me revoilà dans l’intérieur d’une veste. À présent j’ai chaud, il n’y a plus la fraîcheur extérieure d’avant, mais l’appréhension est bien présente.
Cela fait près de cinq jours que je suis coincée dans cette poche intérieure… Je m’impatiente.
Quinze jours après avoir été écrite, me voilà dans les mains d’une femme. Nous sommes dans un salon, avec de grands lustres. Je reste un moment dans les mains de cette femme sans être dépliée. Elle me dévisage, parle à son interlocuteur et finit par le remercier. Cette femme me déplie et me lit : d’abord à voix haute, puis un murmure, puis elle continue dans sa tête. Après un certain temps je reçois une larme… Est-elle triste, heureuse ou soulagée ? La dame s’assoit et me pose sur une table. Deux personnes rentrent et s’assoient autour de moi, ils discutent longtemps, longtemps. Ils parlent de ma provenance, et supposent l’avenir de mon auteur.
L’homme repart. La femme revient me prendre délicatement, me relit et relit, un grand nombre de fois.
Pendant plus d’une semaine plusieurs personnes me lisent, les personnes s’intéressent à moi … ou à mon auteur. Je me demande ce qu’il est devenu…
Puis je finis sur la table de nuit de la femme. LONGTEMPS, LoNgTeMpS, longtemps…
Un jour une autre lettre, comme moi, me rejoint sur la table de chevet, du coup on s’intéresse moins à moi.
Puis un beau matin, je revois mon auteur, il me prend, me sent, me lit, me relit. Puis me voilà dans un tiroir, bien au chaud, en sécurité. Je n’ai plus peur, maintenant, il prendra soin de moi, je le sais.
Alexia GALLOUET

 
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