Lisez pour vivre.
Gustave FLAUBERT, 1857.
Lire, c’est aller à la rencontre d’une chose qui va exister.
Italo CALVINO, 1981.
Il me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? Pour qu’il nous rende heureux, comme tu l’écris ? Mon Dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n’avions pas de livres, et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions à la rigueur en écrire nous-mêmes. En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu’un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide — un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois.
Franz KAFKA, Lettre à Oskar Pollak, janvier 1904.
Tout ce qui est chez nous mis en mouvement, tout cet ensemble complexe d’énergies et de désirs, ce petit-gros bazar composé de manuscrits, d’imprimerie au plomb, de circuits de diffusion, tout cela en fin de compte est destiné au lecteur : celui qui silencieusement me tire par la manche les jours de doute et me ramène dans la belle lumière de mon atelier de typographie. Le lecteur en sa personne, en son histoire, unique, secrète, et qui me demeurera toujours étrangère. C’est à lui que je voudrais que les poètes parlent. Puisse-t-il trouver au hasard d’un de nos livres tel poème où il entendra, soudain claire comme jamais, venue d’ailleurs et disant juste, cette voix à lui seul adressée. Puisse-t-il alors se laisser couler en lui-même et, tout habité d’une confiance nouvelle, suivre ainsi le poème dans cette descente vers ce qui n’est qu’à lui. (...) Dans le fil de cette descente en soi, quelque part, ce sont les autres, ces compagnons fraternels, que nous finissons par rencontrer. Et le monde.
Jean-François MANIER, éditeur, 2000.
Parfois je grappille je gamberge
Le Livre en mains l’esprit ailleurs
Je déserte pour l’image
Pour une parole partagée
Ces jours-là je fronde et m’échappe
La tête rêveuse le cœur pressé
Le Livre résiste et me prodigue
Ses grains de vie et son espace
Le goût de l’autre et ses reflets
D’autres fois je saisis le Livre
À plein cœur à pleines mains
J’y pénètre je m’en imprègne
J’adopte ses ombres et ses clartés
Je me découvre à chaque carrefour
Je me déroule en chaque page
Mon existence se multiplie
Je m’émerveille je me féconde
Un poème me dévoile l’étendue...
Andrée CHEDID, 2000.
Autour de moi, les autres dormaient. Nous étions debout depuis 4h30 du matin pour prendre l’autobus de 5 heures et arriver à l’usine pour la première relève, celle de 6 heures. C’était le voyage du sommeil, de la tête de ligne au terminus. Moi seul était éveillé. La Montagne magique de Thomas Mann m’accompagnait alors pendant le trajet. Je lisais seulement dans l’autobus, les livres m’ont servi à sauver le temps qu’on donne pour perdu. (...) Il y a des lieux inaccessibles qui par miséricorde se déplacent et se portent dans celui qui les lit. J’habitais la montagne magique, elle était sous mes yeux et entre mes mains dans le voyage maison-usine-maison. Je l’habitais, seul éveillé au milieu de mes camarades endormis. Aujourd’hui, je crois qu’ils dormaient pour ne pas se regarder en face, pour ne pas se désespérer. À chaque voyage, je montais dans l’autobus de la montagne magique et je descendais de cette immensité au terminus, dégringolant sur le trottoir d’arrivée avec un bruit sourd de livre fermé.
Erri de LUCA, 2000.
Deux mots me viennent : plaisir et sens. Plaisir de l’objet, plaisir gourmand de l’émerveillement qu’il procure ; les livres nous remettent en permanence dans la palpitation des êtres et des choses. Et puis sens, parce que c’est dans les livres que je trouve de quoi devenir moi-même, la capacité de choisir, de comprendre le monde. Une bibliothèque, c’est pour moi une présence humaine.
Sylviane SAMBOR, directrice de manifestation culturelle, 2000.
J’ai arrêté l’école à 14 ans, en 1939 ; je n’y avais rien appris, j’étais un élève rêveur, sans arrêt puni. C’est en voulant devenir comédien que je me suis mis à dévorer les grands textes ; lire a été mon université. Mais si je lis beaucoup, je n’aime pas que mes lectures soient un divertissement ; j’aime lire à fond, lentement, les mots les uns après les autres. Pas plus de trois pages à la fois. Car il faut lire aussi les mots que l’auteur n’a pas écrits, les mots entre les mots. Ils sont parfois plus formidables que les phrases imprimées. Quand je me lance dans une œuvre, j’aime la lire intégralement, même si ça me prend trois ans. C’est ainsi que je me suis consacré longuement à Thomas Bernhard, que je jouais. Chaque année j’aime aussi relire un Balzac, un Conrad, un Dostoïevski : ils m’aident à déchiffrer ce monde. Qui ne change pas.
Michel BOUQUET, 2000.
Les œuvres comptent davantage que les livres ; la vie, davantage que les œuvres. Mais cela, ce sont les livres, du moins certains d’entre eux, qui m’ont aidé à le comprendre...
André COMTE-SPONVILLE, 2000.