30 janvier 2013. Retour d’Auschwitz.
J’appréhendais ce lieu et tout ce qu’il symbolise.
Cependant mon ressenti après cette journée est tout autre. L’expression utilisée par le survivant Benjamin m’a beaucoup marquée : ‘témoin de témoin ».
Je craignais une réaction sur-culpabilisante et oppressante. L’endroit ou plutôt son aménagement est complètement disproportionné de telle sorte qu’il serait illusoire de l’expliquer à ceux qui ne l’auraient vu. C’est ni une chose à imaginer, ni à comprendre au point de se rendre mal, mais c’est à voir et à ne pas oublier.
Et nous avons vu.
L’unité de cette classe soudée a été pour moi une grande force me permettant de ne pas sombrer dans la recherche de représentation, et de me sentir moi en tant qu’élève, en tant que personne pas si loin de l’enfance et se rapprochant de l’âge adulte, et non en tant que victime, car ce n’est pas mon cas, car je n’ai pas été juive, ni née à ce moment là dans ce territoire occupé.
Evidemment lorsque quelqu’un raconte l’histoire immonde et tragique de ces Juifs, les yeux s’abaissent, les lèvres se bloquent, les cœurs se serrent.
Pourtant ce n’est pas nous les victimes et se faire victime serait encore plus irrespectueux envers eux. Aujourd’hui l’air qui nous suivait, au-dessus de nos têtes, m’a permis de dépasser ce « rôle de souffrance » et de me responsabiliser, c’est-à-dire de trouver ma place dans la grande Histoire, et de devenir témoin. Nous arrivons à un âge dans notre vie où une place fondamentale est à accorder à nos choix politiques parce que notre vie en société telle que nous la voulons et l’espérons n’est pas seulement une utopie et que nous avons notre part de responsabilité dedans, autant pour s’accorder que pour s’opposer. Il s’agit alors d’affirmer ses convictions et de penser par nous mêmes afin de ne pas se laisser porter par un flot favorisant l’oubli de l’individu. Nous sommes nés homme et nous nous devons de nous respecter et si nous ne le faisons pas pour nous mêmes, faisons-le au nom de la vie.
Je ne puis parler de prise de conscience alors j’évoque cette journée comme un regard supplémentaire sur l’histoire de la Shoah. Elle restera dans notre mémoire à tous.
J’en oublierai peut-être des passages mais l’idée principale sera présente : la réflexion qui elle persiste même lorsque les pieds ne sont plus sur le sol du camp d’Auschwitz.
Je crois que la réflexion ne peut venir et que nous pourrons nous diriger vers elle seulement après un certain temps d’écart avec la vision du camp. Ce lieu est si prenant et étouffant (par son immensité mais surtout pas le poids funeste qu’il porte encore) que penser et voir m’était peu envisageable. Et ce simple détail m’interroge sur la manière dont ces hommes, réduits et humiliés, ont pu chercher la force pour avoir cette volonté d’exister pour survivre. A leur place, je ne serais surement pas allée aussi loin, j’aurais probablement capitulé sous la pression quotidienne et aurait préféré me convaincre de ma propre inutilité pour mieux me rendre à ma terre mère.
N’étant pas à leur place, je peux les respecter, avoir envie de les honorer et de défendre leurs actions.
Auschwitz est la preuve concrète devant laquelle nos yeux sont restés ouverts comme figés par cette horreur qui n’est donc pas si vieille, pas si loin et qui pourrait reprendre, même sous différentes formes, à tous moments, contre n’importe quelle minorité. C’est pourquoi notre rôle à tous aujourd’hui est aussi et surtout de l’empêcher. L’histoire ne doit plus se répéter. Il est largement temps d’avancer pour de bon. Cessons de faire quatre pas en avant si c’est pour en faire deux en arrière.
Nous avons un rôle, une mission. Il y aurait tant à dire. L’écriture permet de poser des mots, même s’ils ne conviennent pas toujours, ils sont là et racontent déjà une histoire.
Laurence Bertin. T L 1