Retour d’Auschwitz. 30 janvier 2013.
Quelle journée… Tant de choses à dire… Tant d’horreurs, d’inhumanité …
Aujourd’hui, ce 30 Janvier 2013, nous étions en Pologne, ma classe et moi, à Auschwitz, le plus grand cimetière du monde… et il mérite bien son nom !
Après une telle journée à apprendre en détail le quotidien et les conditions de vie dans les camps, il est difficile de ne pas voir le monde autrement. Par exemple, il est difficile de ne pas considérer l’égoïsme naturel des gens, tel que ces personnes ayant vécu cette journée tout comme nous, et ne pensant qu’à leur petite personne, comme une hypocrisie effarante, voir écoeurante.
Mais commençons par le début.
Nous avons commencé cette journée par la visite de Auschwitz Birkenau, le camp principal, gigantesque, et nous avons eu la chance - que dis-je - l’honneur d’avoir le témoignage direct, durant cette visite, de Benjamin Orenstein, 87 ans, un des derniers survivants de l’enfer d’Auschwitz.
Il a tenté, tant bien que mal, de nous décrire ce qu’il a vécu.
Mais, comme il le disait : « Même si vous avez une imagination débordante, vous n’arriverez pas à savoir ce que c’était. Et même si vous arrivez déjà à quelque chose, c’est cent fois pire. »
L’horreur était telle qu’il était bien difficile, en cette journée, de ne serait-ce qu’imaginer les milliers de fantômes sortant du sol, ce million d’âmes demeurant toujours sur les lieux, éternellement, dont la vie fut ôtée par ce qui à été peut être un des plus monstrueux massacres de toute l’histoire.
Mr. Orenstein affirmait en effet que « actuellement (dans le camp), nous marchons sur les cendres de tout ceux qui sont morts. » Durant cette visite, je voulais me mettre au maximum en situation, comprendre au mieux ce que tant de personnes ont vécu : vivre dans le froid, y travailler, sans manger, sans boire… C’est pour cela que, bien que nous étions en hiver, je me sois mis en t-shirt pour, ne serait-ce qu’un instant, me mettre en situation.
Cependant, durant toute cette visite matinale, je parvenais tout de même à garder du recul, je n’étais pas imprégné de toutes les émotions que devaient ressentir certains de mes amis, ces émotions que dégageaient les lieux.
Mais, dès l’après-midi, nous avons visité Auschwitz 1, soit un ensemble de bâtiments, ou « blocs », dans lesquels étaient entassés les prisonniers, et qui ont été aménagés par la suite en musée.
Je ne sais si c’est l’ambiance que procuraient les bâtiments de pierre rouge sombre, associés au ciel lourd de nuages et la neige, ou encore les murs barbelés et le panneau « Arbeit Macht Frei » (Le travail rend libre) qui faisait comme la porte de l’enfer, mais c’est dans ces lieux que quelque chose s’est cassé en moi. Je ne sais pas si c’est le cas de tout le monde, mais je pense que pour la plupart d’entre nous, cette barrière intérieure qui nous protégeait jusque là s’est détruite. Ce fut, surtout, lors de la visite des bâtiments. Par exemple, pour un ami, cette rupture eut lieu en voyant les endroits où les prisonniers dormaient ( des chalits collés les uns aux autres, sans matelas ni couverture) ou leurs toilettes, des cuves sales colées les une aux autres sans la moindre hygiène ou intimité. Il y imaginait une famille, là, au milieu de cette pièce répugnante, dénudée, humiliée, affamée.
Personnellement, j’arrivais à tenir le coup, en me cachant derrière mon carnet de dessin et mon crayon qui mettaient une sorte de distance entre moi et la réalité, c’est comme si elle apparaissait dans un cadre bien délimité d’une espèce d’appareil photo. J’étais hors-champ, passif, comme si je regardais un film ou un documentaire, et c’est ce mécanisme qui m’a protégé jusque là.
Cependant, il fut un moment où, sans prévenir, cet appareil imaginaire s’est brisé. Je suis alors entré dans le cadre, je ne pouvais plus me cacher derrière un quelconque crayon, j’ai été rattrapé par toutes ces horreurs.
Cette fracture à commencé lorsque je me suis trouvé face à la photo représentant des montagnes et des montagnes de chaussures, récupérées aux juifs avant leur entrée dans les chambres à gaz. Et cette fracture s’est intensifiée à mesure que la visite continuait, et que l’on se trouvait à chaque fois devant une nouvelle montagne, cette fois bien réelle, des effets personnels des condamnés : lunettes, peignes, vaisselle, brosses à cirage (jusqu’ici, c’était encore supportable) puis des prothèses… des milliers de prothèses arrachées à leur propriétaire … des jambes, des bras… Puis les fameuses chaussures, mais réelles cette fois ; qu’elles soient d’adultes où d’enfants, de nouveaux nés, leur vue était insupportable…
De même pour les innombrables valises, ou encore de cannettes contenant le poison mortel, le gaz zyklon B. Mais là où la rupture s’est vraiment révélée, ça a été à la vision d’une montagne de cheveux…
Et le pire, dans tout ça, c’était de se dire que ce n’était qu’une infime partie des effets retrouvés !
Car tout élément neuf ou convenable était envoyé directement en Allemagne, de même que les cheveux qui étaient utilisés pour faire des vêtements pour l’armée nazie.
A la vision de telles horreurs, j’avais du mal à retenir mes larmes…
Un tel sentiment s’est retrouvé lorsque nous somme entrés dans ce qui a été, je pense, une des pires salles que nous ayons visité… la première chambre à gaz… Le résultat de plusieurs années de recherche dans l’industrie de la mort à grande échelle, et l’exemple même de toute l’horreur de la guerre.
A côté de cette salle, trois fours crématoires, tout justes adaptés à la morphologie humaine… lieu emblématique où les nazis étaient tellement débordés de cadavres qu’ils avaient du mal à adapter la cadence des fours aux nouveaux cadavres. C’est la dernière image marquante que j’ai vue du camp d’Auschwitz… et je ne risque pas de l’oublier.
Valentin Lucas. TL1.